Frozen Rain. [PV – Machihiro]

Un sourire plus ou moins forcé aux lèvres, Yuna descendait les escaliers de l’établissement en direction du couloir des deuxièmes années. Elle se sentait nerveuse tout d’un coup, et la désagréable impression de s’être fait avoir ne parvenait qu’à amplifier son visage crispé. Si seulement elle avait mieux prêté attention à la conversation de ce midi…


Flashback : Le jour même, dans la cantine.


« Anoo… excusez moi. Vous êtes bien Yuna Sanjyo ?

- Oui, pourquoi ? »

La belle lycéenne avait alors posé son regard sur la personne qui osait de sa petite voix interrompre son déjeuner.
Son interlocutrice paraissait jeune, sûrement une première année en proie à un problème quelconque, et qui faisait, une fois de plus, appel à ses sempai. Yuna ne rechignait jamais à aider les jeunes élèves, et ces derniers savaient régulièrement en profiter.
Mais alors que Sanjyo s’apprêtait à écouter le souci de la petite inconnue, le professeur de sciences apparut pour rappeler à Yuna une date d’examen. La jeune fille passait en effet beaucoup de temps à se préparer pour intégrer par la suite une prestigieuse université, et les professeurs de Sakurai Gakuen l’encourageaient dans cette voie. Ainsi l’attention de Yuna fut détournée de la requête prononcée d’une voix à peine audible par la jeune première année, pour se concentrer sur le discours du professeur.

Une fois la date de l’examen notée, Yuna se tourna à nouveau vers la jeune élève mal à l’aise qui se dandinait d’un pied sur l’autre.

« … Je… » la voix tremblotante de la jeune fille interpela Yuna « … donc après vous avoir expliqué mon problème, je ne sais vraiment pas quoi faire… Je ne vous demande pas de vous en charger pour moi hein… mais… »

« Pas de problème. » Yuna répondit avec un ton enthousiaste, cherchant à redonner le sourire à sa camarade. « Je m’en occupe. »

A vrai dire Yuna n’avait aucune idée de ce dont la jeune inconnue avait parlé, mais cela ne devrait pas être un obstacle. Souvent les jeunes élèves tremblaient à l’idée de demander une faveur à un professeur, ou avaient besoin de récupérer une de leurs possessions oubliées dans une salle fermée… Les demandes étaient variées mais jamais contraignantes. Ainsi Yuna avait sans aucune difficulté accepté d’aider la jeune élève.
Une expression radieuse accueillit cette nouvelle, et la jeune fille lui tendit une lettre avec des joues vermeilles, balbutiant :

« Il s’appelle … Hondô… Machihiro Hondô. »



Retour au présent.


Et ainsi Yuna, un sourire contrarié aux lèvres, se retrouva à devoir porter une lettre enflammée à un inconnu. Enfin, pas si inconnu que cela. Ce « Hondô » de deuxième année était un cas dont Yuna avait eu le loisir d’entendre être maintes fois évoqué entre professeurs. Un élève brillant à ce qu’il paraissait… mais qui ne se pliait en rien aux règles des examens.
Autrement dit Yuna et ce jeune homme étaient aux antipodes de pouvoir se retrouver dans une telle situation : elle lui apportant une lettre d’amour. Et pourtant c’était le cas.

Soupirant légèrement, la jeune fille remonta le couloir alors que la sonnerie retentissait. Une silhouette fine et élancée se détacha du reste des élèves, et Yuna s’approcha, le cœur serré. Détaillant les piercings du jeune homme qui lui faisait face, elle réussit finalement à retrouver la parole et demanda rapidement :

« Tu es bien Hondô Machihiro ? J’ai besoin de te parler… »

D’un geste de la main elle l’invita à la suivre vers une cage d’escalier vide. Donner une lettre décorée de petits cœurs roses et rouges à un élève n’était pas vraiment un geste habituel de sa part, et il ne manquait plus que des rumeurs sur son compte se répandent.
Attendant que Machihiro la rejoigne, la jeune fille s’approcha d’une fenêtre et observa une fine pluie se déposer sur la paysage citadin qui s’étendait devant elle. Les gouttes tombaient contre la vitre en rythme régulier, et Yuna cala inconsciemment sa respiration sur ce tempo.
Une fois l’élève près d’elle, elle osa lever les yeux vers lui et commença :

« Je me dois de faire une chose… bizarre, et assez inattendue. »

Yuna remit une mèche de cheveux derrière son oreille, en se mordillant légèrement la lèvre inférieure :

« Tu… tu as déjà reçu des lettres d’amour ? »

Dans la cage d’escalier vide, seul le bruit des gouttes balayant la fenêtre à intervalle régulier parvenait à interrompre le silence qui s’était créé.
Bientôt le son des pas du jeune Machihiro prit le dessus, et Yuna se tourna vers le lycéen, une expression quelque peu inquiète au visage.
Elle ne savait pas comment amener le sujet, et désirait –malgré son envie de clore cette histoire le plus rapidement possible- ne pas décevoir la jeune élève qui comptait sur elle.

La jolie Japonaise retourna discrètement la lettre entre ses mains, et se hasarda à commencer la discussion. Le ton de son interlocuteur fut instantanément sec et direct. Machihiro lui demanda même si son ‘speech’ allait durer longtemps.
Yuna plongea son regard dans celui du jeune homme, étonnée. Ainsi les rumeurs disaient vrai.
Cet élève, Hondô Machihiro, était réellement quelqu’un se souciant peu des règles de politesse ou de respect envers ses aînés.
Cette attitude, paradoxalement, détendit instantanément la jeune fille, qui retrouva alors le sourire pour lui demander s’il avait déjà reçu des lettres d’amour.

La réponse de son interlocuteur, fut –une nouvelle fois- directe et sans concession. Il accusa cette manière de dévoiler ces sentiments ennuyante, et permettant aux jeunes filles de se cacher derrière leurs textes. Yuna fut sur le point de hocher la tête en signe d’approbation, lorsqu’elle se rappela de son rôle. Elle n’était pas ici pour critiquer les lettres d’amour, puisqu’elle devait justement en délivrer une !
Soupirant à cette idée, elle se cala contre le mur en répondant :

« Je suis ici pour t’en donner une… »

Elle ajouta en plaisantant à moitié :

« C’est la première fois que je dois délivrer une lettre d’amour, rends-toi compte de ta chance ! »

C’est ce moment là que choisit un professeur de littérature pour entrer dans la cage d’escalier. Prenant sur le fait Yuna en train de faire sa simili déclaration, il ouvrit grands les yeux et sortit précipitamment en s’excusant d’une voix enrouée de les avoir interrompus.
La jeune fille se précipita pour rectifier le malentendu, mais la porte se referma avant qu’elle n’ait pu prononcer le moindre mot. Soupirant bruyamment, elle se tourna vers Machihiro, le regard fatigué :

« On m’a demandé de te remettre une lettre. Elle vient d’une première année… en classe B. »

Yuna observa le jeune homme, avec une expression déterminée sur le visage.

« Je lui ai promis que tu la lirais, et je respecte toujours mes promesses. »

La Japonaise s’approcha de son interlocuteur, et posa l’enveloppe décorée dans sa main :

« Je comprends que lire ce genre de déclarations ne t’intéresse pas. Mais je te demande de faire une exception pour cette fois ci. En échange je… »

Yuna se mit à réfléchir rapidement. Elle s’était déjà faite avoir le midi, et ne souhaitait pas recommencer l’expérience une fois de plus. Elle hésita à finir la fin de sa phrase.

« … j’accepterai de te rendre un service. Tous sauf devoir remettre une lettre d’amour à quelqu’un… »

Elle se tut, le visage légèrement inquiet. Qu’allait bien pouvoir répondre le jeune homme énigmatique ?

Yuna, remettant d’un geste distrait son sac sur son épaule, expliquait la situation à l’étrange Machihiro Hôndo.

« Elle s’apelle Eri Minami », prit-elle le soin de renseigner la jeune fille.

Yuna tendit l’enveloppe au lycéen et l’observa avec étonnement et curiosité.
Elle n’avait encore jamais vu quelqu’un traiter une lettre d’amour de cette façon.
Il la regardait avec distance, la … reniflait !?, la faisait tomber par terre pour finalement la ramasser du bout des doigts.
Il n’y avait pas à dire, ce garçon était étrange. Intéressant mais étrange.

Elle lui proposa de lui rendre un service s’il acceptait de lire la lettre. La réponse de son interlocuteur la surprit. Il lui annonça d’un ton calme et posé qu’il ne donnait plus qu’il ne recevait.
Ainsi la personnalité de Machihiro était difficilement cernable…

Yuna l’observa du coin de l’œil se positionner près d’elle pour parcourir la déclaration enflammée. Elle y jeta un regard, et scruta avec amusement un grand dessin censé représenter Eri et Machihiro…
Ce dernier commenta sa lecture de la lettre, et Yuna se contenta de sourire d’un air satisfait. Elle l’avait fait. Machihiro avait lu la lettre. Son travail finalement était accompli.

Comme service, le jeune homme lui demanda de répondre négativement aux attentes de la jeune amoureuse. Yuna dissimula un sourire derrière la paume de sa main. Donner le résultat de la situation était bien entendu ce que se devait de faire Yuna, et ne revenait en rien à un service rendu pour le bel Hôndo… La lycéenne remit une mèche de cheveux en place, et reprit la lettre avec une expression détendue.

« Pas de problème. »

Elle fit un dernier sourire au jeune homme, puis s’approcha de la porte pour quitter la cage d’escalier et rejoindre son aile de bâtiment.
Un brusque coup contre la porte qui s’ouvrit brutalement empêcha Yuna de mettre à bien son plan, et elle vit avec surprise le professeur de sciences naturelles pénétrer dans l’endroit désert.

« Vous deux ! Occupez-vous du ménage des salles 2-A et 2-B ! Les élèves qui sont normalement en charge de ce travail sont absents…

Le visage du vieux professeur se tordit en un rictus qui ressemblait plus à une grimace qu’à un sourire, et il termina d’un ton mielleux :

… Je compte sur vous ! »

En un instant le professeur disparut derrière la porte à nouveau fermée, et Yuna se tourna vers Machihiro, l’air contrarié.

« Tu es rapide pour ce genre de tâches ? »