Kizuna {PV - Sayako}

Remontant tranquillement le couloir animé, Yuna se dirigeait vers son casier.
Vêtue de son uniforme élégant, c’était un discret sourire aux lèvres que la jeune lycéenne se fendait un chemin parmi la foule excitée des élèves de Sakurai Gakuen. Yuna appréciait particulièrement la joie de vivre de ses camarades, et les dernières trouvailles des fameux « Baka Rangers » achevaient de la divertir au plus haut point.

C’était donc d’une humeur enjouée que Yuna se trouvait en cette matinée d’hiver glacée, et la perspective de retrouver l’ambiance studieuse de sa classe ne la rendait que plus impatiente.
Elle aimait étudier. Dernièrement il y avait eu l’arrivée de ce mystérieux Watanabe qui avait ajouté à son plaisir, mais originellement elle était d’une nature facilement enclin aux études.

C’était en effet un des seuls domaines aussi ‘juste’ qu’elle ait jamais eu le plaisir de connaître. ‘Juste’ dans le sens où il suffisait d’apprendre pour réussir. C’était d’une logique et d’une justice déconcertante.
Autrement dit c’était tout le contraire d’une maladie, où le patient pouvait se gaver tant qu’il voulait de médicaments, il resterait malade et en mourrait.

Il existait évidemment des maladies curables, mais Yuna avait échappé à cette chance et s’était au contraire retrouvée dans l’enfer des maladies héréditaires qui ne cessaient de tourmenter la victime qu’une fois dans le cercueil.

Yuna réprima un soupir, et conserva son léger sourire aux lèvres. Elle avait dû s’adapter à toutes les contraintes qui accompagnaient cette pathologie handicapante, et en ressortait plus forte aujourd’hui.
Pourtant certains indices menaçaient de la trahir à tout moment : son refus de rester dans des endroits trop chauds, ou froids, ou même trop humides ; son choix peu varié d’aliments bourrés de fer ; sa sempiternelle minceur qui menaçait de devenir une maigreur ; son besoin inconditionnel d’eau à certains moments…

Elle devait faire passer tous ces éléments étranges comme des besoins fantaisistes, et certains de ses camarades la prenaient pour une cinglée compulsive.

Allongeant le pas, Yuna se remémora sa peur à l’idée que les élèves apprennent sa maladie. Elle ne serait plus jamais regardée de la même façon. Elle préférait grandement être vue comme une excellente élève en proie à certains moments de folie plutôt que pour une grande malade pour qui on ressentirait de la pitié.

Elle avait malheureusement eu une crise de douleur focalisée dans ses membres inférieurs au semestre précédent, et un de ses camarades l’avait découverte, tremblante de douleur dans une salle de biologie désaffectée.
L’élève en question faisait partie de sa classe, et était en plus l’un des fameux Golden Boys. Yuna espérait de tout cœur qu’il saurait tenir sa langue, et ne dévoilerai son secret à personne.

Se mordillant instinctivement la lèvre inférieure –son tic habituel dès qu’elle se remémorait un souvenir désagréable- , Yuna arriva devant son casier et en sortit son cahier de cours.
Refermant doucement la petite porte métallique, elle laissa son regard se perdre dans la foule des élèves.

Une silhouette retenu son attention, et la lycéenne fit un effort pour resituer où elle avait bien pu entrapercevoir cette élève.
La mince concentrée, Yuna réfléchissait. Elle ne se souvenait pas avoir rencontré cette personne dans les murs du lycée… mais où dans ce cas ?

Elle détailla la fine silhouette dans le but de se souvenir. Une jeune fille menue, au visage fin et gracieux.
Ses cheveux courts faisaient ressortir les lignes élégantes de ses yeux, et un sourire adorable ornait ses lèvres.

Yuna restait concentrée, les images de plusieurs lieux défilant dans son esprit. Puis tout s’éclaira. L’image d’un hôpital s’imposa à elle.

Un hall de clinique. L’odeur des médicaments. De vagues murmures de plaintes provenant de chambres au loin, de vieilles personnes se déplaçant en robe de chambre, une perfusion les suivant dans chacun de leurs mouvements.
Et le visage impassible de Yuna, qui prenait sur elle pour venir dans cet endroit effrayant toutes les semaines.

Elle était habituée à être la seule jeune fille à venir si régulièrement, jusqu’à apercevoir un jour une autre fille de son âge, le visage trop émaciée à son goût.
Malgré sa maigreur évidente, la beauté de sa compagne apparaissait comme une évidence à Yuna, qui avait sourit légèrement à cette apparition agréable.
Pourtant les deux inconnues ne se croisèrent à nouveau que quelques fois, et de divers rendez-vous médicaux les avaient toujours empêchés de s’approcher pour finalement oser se parler.

Yuna observait maintenant avec une mine hébétée cette même jeune fille se trouvant à quelques mètres d’elle, dans le couloir de Sakurai Gakuen.
Un bruit sourd fit tressaillir autant les élèves surpris que Yuna elle-même.
Cette dernière avait fait tomber ses cahiers sur le sol, encore choquée par la découverte qu’elle venait de faire.

Ramassant rapidement ses livres, Yuna se précipita vers l’inconnue.
Le regard agrandi par la surprise, le souffle court, Yuna réfléchit à comment aborder cette camarade inattendue :

« … On s’est déjà vues, n’est-ce pas ? »

La lycéenne observa le visage de l’inconnue avec douceur. Elle ne pouvait évidemment pas dévoiler le lieu de leur rencontre ici, car leur discussion pourrait être entendue par une oreille trop curieuse.
Yuna serra ses livres contre elle, se mordillant à nouveau la lèvre inférieure. Cette journée recelait des surprises vraiment inattendues.

Aujourd’hui, Sayako était d’une humeur légère, a croire que tout pouvait changer rapidement. Seule en ce moment à la résidence, elle n’avait pas vraiment fait de folies durant sa soirée. Un peu de devoirs, un peu de repos, un repas léger et enfin un film avant de dormir de longues heures. En ce moment la jeune femme avait besoin de beaucoup de sommeil, elle ne s’était pas encore faire à cette nouvelle vie, ou plutôt à la reprise de son ancienne vie. Oui, c’était exactement ça. Lorsqu’elle était à l’institut, elle n’était pas face à autant de gens, et c’était certainement ça qui avait permis son rétablissement… Le simple retour chez elle avait été une épreuve, pourtant elle avait réussi à passer dessus sans réellement replonger, les confrontations avec sa mère l’avait laissé plus de marbre qu’autre chose, ce qui était réellement étonnant. Alors ce matin là elle était partie de bonne humeur, les écouteurs de son lecteur mp3 dans les oreilles, diffusant un rock entraînant. Elle avait traversé la ville d’un pas léger, s’arrêtant un instant pour acheter son petit déjeuner en chemin, qu’elle mit dans son sac. Elle avait un peu de temps avant le début des cours pour pouvoir manger un morceau, et à vrai dire il n’y avait plus grand-chose dans son réfrigérateur… Cette pensée la fit sourire, elle allait devoir faire les courses ce soir, et contrairement à beaucoup, elle aimait bien faire ça. Sayako savait bien s’occuper d’une maison, même si elle ne pouvait pas le faire souvent, sa mère ayant engagé des femmes de ménages, des cuisiniers… Décidément, elle n’aimait rien faire par elle-même, elle préférait de loin se faire servir, ce qui n’était pas toujours du goût de Sayako qui, elle, aimait bien, de temps en temps, faire la cuisine.

Etonnant n’est-ce pas?

Sayako avait finit par arriver à Sakurai, se mêlant à la foule des élèves qui rentraient au Collège, se faufilant, sans quitter ses écouteurs. Elle finit par arriver aux niveaux des casiers, ouvrant le sien d’un geste nonchalant avant d’y poser déposer son manteau, changeant de chaussures, comme tous les jours, et laissant les affaires dont elle n’avait pas besoin : quelques livres, quelques cahiers, en prenant d’autres pour se préparer à aller en cours. Fermant son casier d’un geste, elle se faufila à nouveau parmi les élèves jusqu’à ce qu’une fille de sa classe l’interpelle. Sayako s’entendait plutôt bien avec elle, et elle était une des rares personnes à ne jamais lui poser trop de questions sur son années d’absence, sont prétendu voyage en Amérique. Elles discutèrent un moment, Sayako restait souriante, et n’avait pas encore remarqué l’élève qu’elle était censée reconnaître… Jusqu’à ce qu’elle fasse tomber ses cahiers. Le bruit lui était parvenu de manière lointaine, mais le mouvement des élèves autour n’était pas passé inaperçu aux yeux des autres élèves qui s’étaient retournés. Et Sayako avait levé la tête, regardant la jeune femme, avec une étrange impression de déjà vu. Oui, il l’avait déjà vu quelque part, et elle ne mit pas longtemps à comprendre de qui il s’agissait…

Yuna, dont elle ne connaissait pas encore le nom, était celle qu’elle avait croisé plusieurs fois à l’hôpital, juste avant de partir à l’Institut, à l’époque où elle était encore à moitié à Sakurai, en moitié plus en état d’y aller. De plus sa mère ne voulait pas que l’on voit sa fille dans cet état, histoire de préserver les apparences…Mais cette jeune femme… Elle l’avait vu à l’hôpital, dans un état déplorable, elle avait peut-être compris même… Et elle était en train de se diriger vers elle. Sayako aurait pu s’esquiver, mais elle n’en voyait pas les raisons. L’inconnue, qui ne l’était pas réellement, vint jusqu’à elle et lui demanda si elle s’était déjà vues. Que dire… Sayako se tourna vers l’élève qui était en train de lui parler quelques instants plus tôt.

« Excuse moi… On se retrouve en cours? »

Elle lui adressa un sourire, l’élève hocha la tête, salua Yuna et s’éloigna pour retrouver le groupe d’élèves qu’elle avait délaissé quelques minutes plus tôt. Sayako regarda la jeune femme aux longs cheveux, si différents des siens et finit par hocher la tête. La sonnerie se fit entendre, et une grande partie du hall se vida.

« Tu as bonne mémoire… Viens, ici y a trop de monde… »

Elles risquaient peut-être de louper un cours, mais Sayako ne trouvait pas ça réellement important pour le moment. Dans un geste instinctif et léger, elle prit la main de Yuna et l’entraîna dans le couloir, sans la forcer, sans violence ou agressivité, mais elle tenait vraiment à pouvoir parler avec elle sans qu’elles ne soient entendues par tout le monde. Au bout de quelques instants elle finit par trouver une salle de vide et avec un soupire, Sayako finit par lâcher la main de la jeune femme, poussant la porte et se retournant vers elle avec un sourire , légèrement gênée de l’avoir entraîné ainsi.

« Excuse moi, je ne t’ai pas vraiment demandé ton avis. Mais je n’avais pas trop envie qu’on nous entende… »

Finalement, Sayako s’avança dans la salle, s’asseyant sur une des tables de la classe vide avant de regarder Yuna à nouveau pencher la tête. Elle se souvenait très bien de la jeune femme maintenant. Elle se devait tout de même de se présenter , ce qu’elle fit :

« Je m’appelle Yada Sayako… Je crois que je n’ai pas eu l’occasion de me présenter à… l’hôpital… »

Sayako eut un sourire en coin, un peu gêné, montrant bien qu’elle souvenait de Yuna…

Yuna, le regard fixé sur l’étrange apparition qui se tenait devant elle, ne remarqua pas le grand hall se vider de ses bruyants occupants.
La jeune lycéenne pourtant si pressée, il y avait à peine quelques minutes, de retrouver sa salle de cours semblait maintenant dans un tout autre état.

Le domaine du lycée et de l’hôpital étaient en effet dans sa vie totalement séparés.
Elle avait construit une barrière infranchissable entre ces deux univers, et ne souhaitait que personne ne puisse déceler la présence de ces mondes bipolaires.
Pourtant elle se tenait à cet instant précis devant la preuve même que cette nette séparation comportait quelques failles.
La jeune inconnue qui la regardait de ses yeux sombres et pétillants en était une évidence vivante.

Yuna s’aventura à glisser quelques mots à la jeune fille, et déjà cette lycéenne l’entraînait dans un coin plus tranquille.
Yuna observa en suivant le mouvement sa main prise dans celle de sa camarade. Ce geste n’était pas anodin, et la jeune Sanjyo n’aurait certainement pas accepté tant de familiarité de la part de quelqu’un d’autre.
Seulement cette fille faisait exception.
Elle ne semblait pas appartenir au monde du lycée, mais restait dans l’esprit de Yuna liée à l’image de l’hôpital.
Et Yuna, un sourire incertain aux lèvres, se laissait guider.

Bientôt la lycéenne trouva une salle vide et invita Yuna à la suivre. Elle s’excusa de l’avoir ainsi entraînée, et Sanjyo fit un mouvement négatif de la main pour la rassurer.
Puis la présentation tant attendue arriva enfin. Sayako Yada. Le nom se gravait lentement mais sûrement dans l’esprit de Yuna.
La jeune fille confirma que c’était bien elle la silhouette entrevue à l’hôpital. Un sourire éclatant illumina le visage de Yuna, et elle répondit à son tour :

« Je m’appelle Sanjyo Yuna. En classe 3-A. »

Elle prit le temps de s’appuyer contre un rebord de table avant d’ajouter :

« Je suis vraiment étonnée de te retrouver ici. C’est inattendu… mais agréable. »

Elle observa le visage de son interlocutrice. Il lui semblait encore irréel de parler au sein de l’établissement Sakurai à cette jeune fille menue croisée dans un couloir d’hôpital.

« Les élèves d’ici savent pour ta maladie ? », demanda doucementYuna.

Elle n’avait jamais pu supporter l’idée que ses camarades découvrent sa faiblesse physique, mais il en était peut-être différent pour la jolie Sayako.

Yuna laissa son regard parcourir rapidement la fine silhouette de la jeune fille. Elle avait appris que déterminer la maladie d’un patient juste à son physique était très difficile.
Certains cancéreux possédaient pourtant quelques caractéristiques faciales reconnaissables, mais c’était souvent un exercice périlleux que de se baser sur de tels éléments.
Ainsi Yuna n’avait pas la moindre idée de ce dont souffrait Sayako.
Un des symptômes de sa pathologie semblait lié à sa maigreur inhabituelle, mais cela n’était qu’une supposition de la part de Yuna.

Sayako aussi avait tenté de séparer l’hôpital et l’école, mais ce n’était pas vraiment la même chose que pour Yuna. Elle n’avait pas de maladie héréditaire, elle avait été anorexique. Elle n’en était pas totalement sortie, tout n’était pas totalement fini, mais elle allait mieux, beaucoup mieux tout de même, et elle n’avait pas à retourner souvent à l’hôpital, heureusement. Elle avait déjà imaginé croiser quelqu’un de Sakurai, quelqu’un qui aurait été hospitalisé pour une opération bénigne, ou qui venait voir quelqu’un, elle n’en savait rien, pourtant il restait cette crainte… Mais Sayako n’avait pas compris que Yuna faisait partie de cet univers de Sakurai, pas du tout. Elle avait eu l’impression qu’elles étaient les deux seules jeunes filles à venir au régulièrement… Il était assez rare de voir des adolescentes de manière récurrentes, surtout les fois où elles s’étaient croisées…

Et la revoir, comme ça, tout d’un coup, dans les couloirs de Sakurai…

C’était une sorte de choc, cela s’était lu un instant sur le visage avant qu’elle ne fixe ses yeux pétillants dans ceux, doux, de Yuna. Elle avait prit sa main d’un geste instinctif, pour l’entraîner dans une salle vide qu’elle venait juste de trouver. Après être entrée, s’être excusée, elle s’était présentée. Il était temps après tout, non? La jeune femme s’était posée sur une des tables de la salle de classe et avait son interlocutrice se présentée à son tour. Avec un hochement de tête elle lui adressa un sourire radieux, ce qui changeait bien de la jeune fille que Yuna avait pu voir à l’hôpital.

« Hajimemashite. »

Oui, elle était réellement enchantée de rencontrer cette jeune femme.

D’un côté, elle lui rappelait la dure réalité de l’hôpital, mais d’un autre, elle était une sorte de halo un peu réconfortant. Quelqu’un savait, et quelqu’un n’avait rien dit. Elle ne ressentait pas curiosité malsaine chez Yuna, et heureusement. Au contraire, elle n’avait pas l’air de chercher à particulièrement savoir quel avait été le mal de Sayako, et c’était certainement cela qui la mettait en confiance et qui lui donnait peut-être envie de lui expliquer la raison de son hospitalisation.

« Je suis étonnée aussi, mais encore plus de ne jamais t’avoir vu avant à Sakurai. »

Elle n’était pas dans la même classe, c’était certain, pourtant Sayako avait l’impression qu’elles avaient à peu prés le même âge… Elle eut un léger soupire lorsque la question fatidique tomba. Elle semblait réfléchir, tout en regardant Yuna. Devait-elle avouer à cette presque-inconnue qu’elle était anorexique? Ou alors… Ou alors quoi? Elle avait peut-être le droit de savoir non? Sayako secoua la tête avec une mine un peu complexe à déchiffrer.

« Non… mais c’est pas vraiment mon choix… »

Elle ne s’étendit pas plus avant de lui adresser légèrement.

« J’y étais à cause d’un problème d’anorexie. Tu es la seule à le savoir ici.»

D’un côté elle l’avait vu à l’hôpital, alors plutôt que d’attendre que la jeune femme lui pose la question, s’intéresse à ce qu’il s’était passé ou apprenne pour son voyage en Amérique. Elle leva pourtant les mains en signe de paix avec un sourire léger.

« Ne t’inquiète pas, je ne te demande pas de me dire ce que tu as hein. Les autres élèves ne sont pas au courant pour toi, non? »

C’était une déduction, elle savait que les élèves se comportaient toujours bizarrement avec ceux qui étaient malades, que ce soit par pitié, par compassion, ou par moquerie… C’était ridicule bien sûr de se comporter de cette manière mais bon… Sayako croisa les jambes, regardant la jeune femme face à elle, toujours souriante et amicale.

Les deux jeunes filles, se faisant face dans la salle de classe désaffectée, s’étaient commodément installées sur des tables pour enfin pouvoir se parler.
Yuna observa le sourire de sa camarade en souriant à son tour.

Sayako prit le temps d’accompagner sa présentation d’un « Hajimemashite », et Yuna, prise de court par ce ton cérémonieux, répéta la formule de politesse en inclinant instinctivement la tête.

Elle s’étonna de ne pas avoir encore croisé la jeune fille, et en conclut qu’elles devaient simplement aller en cours dans des étages différents.
Yuna supposait que son interlocutrice était en troisième année également, mais rien n’était sûr.

Elle s’aventurer à demander si les élèves étaient au courant de la maladie de sa compagne. Yuna préférait s’assurer de cette question, pour glisser si besoin était à son interlocutrice qu’elle souhaitait pour elle-même garder le secret.
La demande fit soupirer Sayako, et Yuna se mordilla inconsciemment la lèvre inférieure.
Elle aurait abordé un sujet sensible ? Visiblement oui.

Finalement Sayako répondit négativement d’un mouvement de tête, et expliqua que ce secret n’était pas dû à sa volonté. Yuna n’insista pas, ayant eu sa réponse.
Elle avait appris par ses visites constantes à l’hôpital que les patients se divisaient en deux catégories : ceux qui ne désiraient plus que tout partager leurs ressentis sur leur maladie, et ceux pour qui ce sujet était tabou et douloureux.
Yuna faisait sans conteste partie de la deuxième sorte, et Sayako semblait la rejoindre sur ce point.
Cette hypothèse fut instantanément délentie par les explications de la jeune fille, qui lui confia sa maladie.

Yuna observa avec douceur la jeune fille qui se tenait devant elle. Elle n’avait jamais porté ni pitié ni étonnement envers les pathologies des autres. Yuna savait par expérience qu’une maladie était une espèce de figure fantasmagorique qui accompagnait le patient dans ses moindres mouvements, telle une amie venimeuse que lui-seul qui pouvait combattre.
Ainsi la lycéenne se contenta de hocher la tête pour signifier à sa compagne qu’elle comprenait le message.

Yuna observa avec une expression perplexe Sayako lever les mains en signe pacificateur. La jeune fille lui assura qu’elle n’avait pas besoin de lui confier sa maladie, et supposa que Yuna n’avait pas non plus divulgué sa maladie à ses camarades.
Sanjyo émit un léger rire à la pose de Sayako, et réfléchit rapidement.
Elle avait mis par erreur son interlocutrice comme une personne refusant de parler de sa pathologie, et se trouvait maintenant confrontée au dilemme de confier ou non son secret.
Même si Sayako avait été prompt à révéler son lourd passé, il n’en restait pas moins sûr qu’elle avait fait preuve de courage pour ainsi se dévoiler. Yuna devait lui rendre la pareille pour rester logique et juste.

S’éclaircissant nerveusement la gorge, Yuna balbutia :

« Je… Enfin… », prenant une inspiration elle mit fin à ce supplice, « Drépanocytose. C’est le nom de ma maladie. »

Elle observa avec un intérêt soudain le carrelage de la pièce.
Dévoiler, à une personne de son âge, le mot qui la tourmentait depuis tant d’années était un exploit en soi, et l’impression de soulagement fit naître un sourire aux commissures des lèvres de la jeune fille.

« Personne n’est au courant en effet. », ajouta-t-elle. « Tu es la première personne à qui j’en parle ouvertement. »

Yuna observa la jolie jeune fille assise devant elle, et si elle avait été à la maternelle elle aurait sûrement sauté sur sa compagne en hurlant « Keupiiiine !! *o* », tout en recherchant un câlin.
Sauf qu’elles n’étaient ni l’une ni l’autre en maternelle, qu’elles avaient 18 ans, et que leurs sourires complices étaient bien plus révélateur qu’un câlin inattendu d’une enfant de trois ans.

Le regard malicieux, Yuna tendit la main vers sa compagne. Sa main fermée laissait son petit doigt suspendu en l’air, attendant de tenir celui de Sayako.

« Liées par notre secret ? », le regard inquisiteur mais amusé de Yuna achevait d’élargir le sourire de la jeune fille.

Sayako n’avait pas fait exprès d’être si solennelle dans sa réponse, c’était plutôt un tic de langage… On lui avait toujours appris à dire cela lorsqu’elle rencontrait une personne importante, un associé de son père ou un ancien collaborateur de sa mère, si bien qu’elle avait tendance à le sortir un peu à chaque fois qu’elle rencontrait une personne… Elle l’avait même sortie à Ichiro, la première fois, après leur accident, à Keiji la première fois qu’ils s’étaient parlé, peut-être même à Chiyoko, au primaire… Mais cela ne semblait pas avoir tant gêné la jeune femme face à elle, et à vrai dire, Sayako ne s’était même pas rendue compte que cette formule de politesse aurait pu paraître un peu trop cérémonieuse, pourtant Yuna y répondit, avec toute la politesse dont on savait les jeunes filles de cette école capable. Sakurai était Sakurai , et rien ne pourrait y changer.

Oui, le sujet était sensible, mais peut-être pas pour les raisons que Yuna imaginaient. Ce n’était pas que Sayako avait réellement du mal à parler de sa maladie, quoi qu’aux personnes qu’elle connaissait, ses anciens amis ou sa famille, oui, elle avait beaucoup de mal à en parler car souvent les réflexions du genre « avec tout ce que t’as, t’es pas bien? » tombées. Et ça, ça avait le don d’énerver le petit morceau de femme qu’elle était, et il ne valait mieux pas voir une Sayako énervée. Sous ses airs pétillants, un peu fragiles parfois mais pourtant têtus, elle était capable de piquer des colère noire lorsqu’on la poussait vraiment à bout. Et ça allait de la colère brutale , celle qui vous fait crier à la colère froide, certainement la pire… Mais vraiment, et je le répète, il fallait aller loin pour énerver à ce point la Yada.

Sayako finit pourtant par avouer.

Elle avait plongé dans l’anorexie, et elle venait de l’avouer. Là où certains voyaient une mode, un culte de la maigreur, là où partout sur les podiums les filles étaient plus fines que des baguettes, il y avait ce problème, cette anorexie mentale qui était quelque chose de vrai, de réel, pas une mode, pas une manière de se faire remarquer, mais une manière de se faire souffrir. Et ça lui était tombé dessus. Pas vraiment en fait, cela avait été amené, petit à petit, depuis que sa mère s’était rendue compte que sa fille ne ressemblait en rien à ce qu’elle souhaitait à voir. Insatisfait, non remboursé, elle ne pourrait rien y faire, si ce n’est lui proposer de la chirurgie esthétique, comme elle l’avait fait pour son anniversaire… Mais ça, Sayako le gardait pour elle, pour le moment du moins. Elle ne comptait pas en parler, mais viendrait peut-être le jour où on lui dirait « Mais pourquoi? » . Heureusement, ce n’était pas arrivé, et instinctivement, lorsqu’elle avait avoué à Yuna sa maladie, elle s’était sentie rassurée. Elle savait que la jeune femme ne tournerait pas cela contre elle, et qu’elle n’en parlerait pas, car elle aussi vivait dans le secret.

Ce qui fut confirmé quelques instants après, d’ailleurs.

Sayako fut très touchée que Yuna franchisse le pas et lui parle de sa maladie. Elle était elle aussi la seule au courant? Elle lui adressa un sourire rassurant : elle gardera précieusement le secret. La nippone n’aimait pas nuire aux gens.

« C’est une maladie héréditaire c’est ça? »

A vrai dire, à l’Institut, elle avait souvent feuilleté les livres de son surveillant, et quelques uns traités des maladies héréditaires, et ce mot lui évoqué quelques petites choses. Bien sûr elle ne savait pas tout ce que cela impliqué , d’être porteur, mais elle se doutait que cela n’avait jamais du faciliter la vie à la jeune femme devant elle.
Et la question n’avait pas été posée par pitié, par curiosité malsaine, on sentait que c’était un intérêt plus profond, quelque chose de sincère. Sayako ne voulait pas non plus jouer les singes aveugles et sourds, elle n’abordait pas les sujets qui blessaient les gens, mais elle essayait de connaître la situation dans laquelle elle et ses amis ou connaissances se trouvaient, dans la mesure du possible.

A vrai dire, si Sayako s’était écoutée, elle aurait très bien pu sauter au cou de Yuna, mais c’était un peu malpoli tout de même alors eut un grand sourire lorsque la main de la jeune femme se leva. Elle noua son petite doigt au sien et hocha la tête avec vigueur et détermination, sans se départir de son sourire.

« Hai! Tu peux compter sur moi! »

Et ce n’était pas des paroles en l’air.

Elle l’avait fait.
Après toutes ces années de silence, Yuna avait osé dire le nom du mal qui la tourmentait.

Un jeune homme –Akira Kanzaki- avait pourtant réussi à percer son secret, mais c’était loin d’être voulu, et c’était véritablement maintenant que Yuna expliquait sa pathologie de son propre chef.
La lycéenne sentit un mélange de soulagement et d’excitation l’envahir. Elle avait fait un grand pas ce jour là.

Sayako lui demanda si cette maladie était héréditaire, et la jeune fille se contenta de sourire légèrement en répondant :

« C’est exactement ça. »

Elle ne souhaitait pas s’étendre plus longuement sur le sujet, et profita de ce moment complice pour sceller leur secret.
Leurs doigts liés, Yuna sentit un sourire grandir sur ses lèvres, et elle prit le temps de trifouiller dans son sac.

Il lui était à chaque fois impossible de retrouver rapidement ce qu’elle cherchait, et elle resta quelques minutes la tête baissée, en train de remuer les éléments éparpillés de son cartable. Finalement elle trouva ce qu’elle cherchait, et un regard satisfait apparut sur son visage.

Sortant délicatement son portable décoré au minimum, elle le tendit à Sayako.

« J’aimerai avoir ton numéro. »

Elle sourit à sa compagne en lui posant l’objet entre ses mains. Il commençait à être tard, et elles devraient bientôt retourner en cours si elles ne voulaient pas une punition de ménage.

Pourtant il était impossible à Yuna de laisser s’échapper dans la nature sa jeune compagne. Elle se sentait profondément heureuse de pouvoir partager des moments de complicité avec Sayako, et savourait le plaisir qu'elle avait de trouver une nouvelle amie.
L’envie de la prendre par la main et l’emmener dans le centre-ville pour y passer toute une journée agréable était présente, mais Yuna faisait taire cette idée du mieux qu’elle le pouvait. A la place elle demanda doucement :

« Tu es libre samedi ? »

Observant le joli visage de son interlocutrice, elle réalisa les conséquences de leur rencontre.
L’hôpital deviendrait un endroit où elle avait des chances de rencontrer une amie, et rien que cette idée la rendait euphorique.
Mais il y avait plus. Elle serait capable de parler à cœur ouvert avec une de ses camarades de classe, et aucun sujet tabou ne rendra difficile la conversation.
Cette idée semblait encore irréelle à Yuna, mais elle se promit qu’avec le temps elle s’y ferait.

Souriant discrètement – elle avait l’impression que son sourire ne quitterait pas ses lèvres de la journée – elle reprit ses livres et son sac, et ajouta :

« Je suis contente de t’avoir finalement rencontrée. Très contente. »

Les sentiments se transformaient naturellement en déclaration directe, et Yuna sentait ses barrières habituelles disparaître. Elle sourit une dernière fois à sa compagne en terminant :

« Prête pour retourner en cours ? »

Elles venaient toutes les deux de se libérer d’un secret lourd, trop lourd pour elles seules certainement. Bien sûr, Sayako avait vu juste en ce qui concernait la maladie de la jeune femme, il s’agissait d’une maladie héréditaire, rien de bien joyeux… Elles avaient tout pour s’entendre, n’est-ce pas? Elles pouvaient se comprendre, elles pouvaient partager des choses que beaucoup d’étudiants ne pourraient certainement pas assimiler : comme les habituelles visites à l’hôpital, les cachets à ingérer, les régimes particuliers, les besoins qui l’étaient tout autant… Ce n’était pas une raison pour s’enfermer dans une bulle et de ne plus en sortir, ce n’était en aucun cas une bonne manière pour faire les choses mais se retrouver de temps en temps avec quelqu’un capable de comprendre votre secret n’avait rien de mal, évidemment.

Sayako ne poussa pas plus loin son micro interrogatoire, elle n’avait aucunement envie de mettre sa nouvelle amie mal à l’aise.

Car oui, maintenant elles étaient liées, leurs deux doigts fins le montraient, et Sayako n’avait qu’une parole. Malgré le mal qu’elle avait pu faire en partant comme elle l’avait fait au début de l’année précédent, elle ne souhaitait pas trahir cette nouvelle union, cette nouvelle amitié qu’elle venait de créer avec Yuna. Sayako n’avait plus beaucoup d’amis, alors de nouveaux qui soient sincères… Elle ne dirait certainement pas non. Finalement Yuna chercha quelque chose dans son sac, et sa fouille fit légèrement sourire Sayako. Au moins elle n’était pas la seule à devoir farfouiller pour trouver… Yuna finit par brandir son téléphone et Sayako eut un sourire ravi en prenant l’objet.

« Bien sûr, mais tiens, enregistre le tien aussi. »

Pour elle se fut plus rapide, elle sortit son téléphone de sa poche.

Elle le tendit donc à la jeune femme, simple portable noir avec quelques décorations d’un rose vif tout à fait adorable, un strap en forme de petit monstre de la même couleur pendouillant avec un immense sourire. Sayako rentra donc son numéro avant de rendre le cellulaire à Yuna, et de récupérer le sien avec un remerciement. Maintenant, elles pourraient se voir quand elles en auraient envie, n’était-ce pas plus pratique? Sayako n’aurait jamais pensé que les choses se dérouleraient aussi simplement avec quelqu’un connaissant son secret . Peut-être s’était-elle attendue à ce qu’on lui fasse du chantage, à ce que l’échange soit tendue, mais ce n’était absolument pas le cas à l’instant… Au contraire puisque Yuna lui demanda même ce qu’elle faisait samedi.

« Rien du tout, on peut se prévoir une sortie entre filles si tu veux. »

Sayako sourit, ravie à l’idée de passer la journée en ville ou ailleurs avec Yuna.

Cette dernière avait réussi à la mettre à l’aise tout de suite, ce qui était tout de même impressionnant, Sayako n’avait pas eu peur de se confier à elle, alors qu’elle ne l’avait fait avec personne… A part Keiji. Elle chassa cette pensée de sa tête et adressa un sourire doux à son interlocutrice et en même temps ravi, amusé, plein de vie. Un de ses sourires à la Sayako, quoi… Définitivement, elle était ravie de sa journée, ou du moins du début de sa journée. Elle hocha vivement la tête à la phrase de la jeune femme, son sourire s’étendant, rayonnant.

« Moi aussi. »

Puis elle eut une petite moue marrant à la question.

« Pas vraiment, mais je préfère éviter la punition. »

Elle partit d’un rire léger tout en reprenant ses affaires, tenant la porte ouverte à sa nouvelle amie.

» ~Sayako Yada.
» ~Sayako Yada~
» [TERMINE] Un kidnapping original - Sayako