Ou comment délier les langues [PV : Chun Sensei]

Le soir après l'école. Il n'y avait pas souvent des gens au gymnase, et c'était précisément pour cette raison qu'Isako, ou celle que ses amis appelaient Isa-Chan s'y était rendue. Sa dernière entrevue avec son père avait plutôt été catastrophique. Ils venaient de recevoir les bulletins de note, et il était évident qu'Isako n'arrivait pas à la hauteur de ses espérances. Dans tous les domaines. Il portait toujours le deuil de son fils, il aurait fallu qu'Isako parvienne au même point que lui, mais elle s'en trouvait bien incapable ... elle était moins douée en sport, moins douée en sciences, ne se faisait pas particulièrement d'amis ...
Ce dernier cours de sport avait été un calvaire. On arrivait alors au cycle du basket. Isako avait toujours eu du mal à aller vers les gens, surtout en cours de sport. L'idée d'être un poids, un boulet pour les autres lui était insupportable. Alors imaginez ce que cela donne en sport collectif avec Isako ... Elle n'avait pas osé aller voir les gens pour se mettre dans une équipe, et résultat, elle avait du s'incruster à la dernière minute, elle avait raté presque toutes ses passes, et tous ses paniers. Elle était repartie se changer à la fin du cours comme si de rien n'était, retenant des larmes de frustration. Elle décida donc de revenir sur le terrain de la honte.

Après les cours, tout le monde parti ou supposé, elle était donc revenue. La première chose qu'elle avait faite pour évacuer toute cette pression, toute cette injustice, elle ramassa un ballon sur le sol et le jeta de toutes ses forces contre le mur. Elle cria.

- Je ne suis pas Torhu ! Il est mort !

Elle resta pantelante, sentant qu'elle avait accompli un gros progrès. Oui, Torhu était mort, et c'était la première fois qu'elle prononçait le mot « mort » et le prénom de son frère dans la même joie. Et c'était comme si on lui avait retiré un poids énorme sur les épaules. Elle n'était pas Torhu Takeda, elle n'était ... non, elle était Isako Takeda. Et après tout, c'était déjà pas mal. Elle esquissa un sourire et ramassa le ballon. Elle pensa à son père.

- Ce n'est pas pour toi que je le fais, c'est pour moi.

Et elle se mit à courir et à dribbler. On entrevoyait alors Isa comme elle était autrefois, une battante, qui n'était pas du genre à laisser tomber. Elle décida que si jamais elle arrivait avec succès à l'évaluation de basket, alors plus rien ne l'arrêterait, et elle cesserait d'être défaitiste.

Elle parvint devant le panier et tira. Rata. Pas surprenant ... elle ressentit une pointe de déception et reprit le ballon.
Elle essaya de se reconcentrer et tira, mais trop énervée le rata de nouveau.

Soudain, elle entendit un pas félin de derrière elle.

Ai venait de finir son dernier cours de la journée avec les 1-B, ils n’étaient pas les plus forts, mais elle voyait quand même du potentiel dans certain. La direction, lui avait imposé le cycle basket. Elle n’aimait pas trop, mais elle faisait ce que Mr le chef disait. Elle était quand même contente de retrouver ses élèves, elle aimait les regarder se tromper, ou même réussir, c’était un de ses plaisirs. Elle ne connaissait pas encore les noms de tout le monde, mais elle commençait à connaître leurs têtes. Ca ne faisait pas longtemps qu’elle était dans le lycée mais elle commençait vraiment à s’attacher aux élèves et même aux bâtiments.

Elle commençait à ranger les ballons dans le local, quand elle entendit quelqu’un hurler dans le gymnase et jeter un ballon. Il arrivait que des gens hurlent de fatigues, ou sous l’effort dans les gymnases mais pas de colère… Ca devait surement être un élève qui venait de glisser sur un ballon… Ai sortit la tête du local et regarda qui avait hurlé comme ça. C’était une fille, Ai la reconnue, c’était une élève de la 1-B, Isako Takeda si ses souvenirs étaient bon. Elle n’avait pourtant pas l’air d’une fille qui hurle à tous bous de champs…

Isako avait reprit son ballon et commençait à dribbler, elle allait tirer, « elle ne marquera pas ». Et elle rata son tir, Ai voyait que la jeune fille ne se tenait pas correctement, si elle fléchissait ses jambes un peu plus, elle y arriverait. Elle essaya une deuxième fois et ce fut encore un échec. Ai qui n’avait pas bougé depuis qu’elle avait sortit la tête du local, s’avança vers la jeune fille.

-Tu n’y arriveras pas en faisant comme ça. Il faut que tu fléchisse un peu plus les jambes et vise le coin du rectangle rouge. Essaye tu verras…

Ai ne devait pas remonter le moral de ses élèves, elle devait les aider dans sa matière, mais Ai était comme ça, il fallait qu’elle se mêle des choses qui ne la concernée pas… Elle regarda dans les yeux Isako et dit gentiment :

-Si tu as un problème, je peux peut être t’aider… J’ai vu ton bulletin de note, je peux essayer de te faire remonter la moyenne.

Elle allait s'apprêter à tirer. Quelque-chose n'allait pas. Ses tirs manquaient clairement de puissance et de précision. Pourquoi ? Quand on voyait certains autres élèves, tout paraissait tellement simple, mais dès que le ballon allait dans ses mains, c'était comme si il perdait de tout son aérodynamisme ...
Allons. Ce n'est pas la faute du ballon. C'était elle qui était nulle c'est tout ! Ses notes dépendaient d'elle uniquement. Et si elle avait voulu travailler un temps soit peu, elle aurait sans doutes évité d'avoir des ennuis avec certaines personnes.
Elle allait tirer quand une voix douce et cristalline se fit entendre derrière elle.

- Sensei !

Elle voulu dire autre chose, mais son professeur de sport lui parlait, alors elle se tut par politesse, bien qu'elle aurait voulu s'excuser d'être encore dans les locaux pendant que le professeur devait sûrement faire des choses qui ne la regardaient pas.
Elle lui conseilla alors de fléchir les jambes pour mieux réussir à tirer. Mais Isako ne se sentait pas du tout encouragée. C'était juste que s'entraîner devant son professeur la gênait. Elle baissa les yeux le ballon contre elle et hocha simplement la tête.
Elle pensait que le professeur repartirait de son côté, surtout si elle baissait la tête et refusait de parler. Cet état de mutisme l'avait servie bien des fois.
Mais à la place, le professeur lui dit que si jamais elle voulait de l'aide, elle pourrait alors peut-être faire quelque-chose.

- Sensei ... Je doute que je puisse y arriver, mais c'est très important pour moi que j'y arrive. Je ne suis pas loin de passer dans la classe C l'an prochain ... ce n'est pas que ... enfin, si ça arrive, ce ne sera pas trop grave mais ...

Elle aurait voulu dire que son père ne le supporterait pas, qu'il lui supprimerait probablement son argent de poche et qu'il l'enferme dans sa chambre.

- Et aussi ... enfin ... Sensei ... c'est trop compliqué. Il faut que j'y arrive ... parce que ...

Elle cherchait un moyen de bien formuler sa phrase. Si elle y arrivait, elle pourrait faire pleins de choses. Elle pourrait chasser cette image qu'elle s'était construite d'elle depuis deux années, à force d'entendre « Pauvre petite ... Paraît-il, il est impossible de se remettre de la mort de son frère jumeau » ... Elle pourrait aussi peut être faire son deuil. Enfin, se délivrer.
-
Si j'y arrive Sensei, ça veut dire que j'aurais pris une revanche.

Elle s'inclina légèrement.

- Ne vous moquez pas, s'il vous plait.

Isako avait l’air tellement triste, Ai n’était pas dans le lycée depuis assez longtemps pour connaître le passé des élèves… Mais elle savait que certain avait du mal avec le leur. Et Isako semblait faire partie de ces élèves là… Elle avait vraiment les capacités mais il n’est tellement pas facile de savoir les utiliser. Même Ai avait prit beaucoup de temps pour les mettre en pratique. Bien sur, elle n’était pas forte dans tous les sports mais elle n’était pas nulle non plus.

-Takeda, tu ne devrais pas autant te tourmenter, je suis sur que tu peux y arriver et tu n’iras pas en C, tu n’es pas ce genre de fille.

On pouvait très bien entendre l’accent chinois de la prof, mais on pouvait aussi entendre la gentillesse, elle voulait aider Isako. C’est aussi son métier et elle aimerait un jour que ses élèves le comprennent. Car pour l’instant pour eux, ce n’est qu’une femme « jolie » qui leur apprend à envoyer un ballon.

-Tu n’es pas obligé de me raconter ce qui ne va pas… Mais sache que si tu veux que je t’aide en sport ou en quoi que ce soit d’autre, ce serait avec plaisir !

Elle lui sourit et s’approcha d’elle, en prenant le ballon, elle comprenait très bien l’envi de revanche de son élève, plus jeune personne ne croyait en son futur, même pas elle. Elle aurait très bien put en finir, si elle n’avait pas été aidé par des gens bien. Puis, elle n’avait aucune raison de se moquer de la jeune fille ! Elle sourit et répondit :

-J’ai un marché à te faire… Tu viens tous les jeudis et vendredis et je t’aide à te faire remonter ta moyenne. C’est d’accord ?

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